19 Nov Cher Monsieur le Président,
Cette lettre émouvante que je me permet de partager aujourd’hui avec vous a été écrite par une soeur française et enseignante du Dharma dans la tradition du Village des Pruniers, actuellement résidant au monastère de Deer Park en Californie.
Thay (Thich Nhat Hanh) nous a souvent invité à écrire « des lettres d’amour » à nos politiciens dans les moments de chaos, de confusion, de peur. Beaucoup d’entre nous se souviennent de la lettre écrite par Thay au Président George W. Bush en 2006.
Peut-être serez-vous inspiré par la lettre de Thay et de Sr Mai Nghiem pour regarder profondément dans votre coeur et vous-même en écrire une.
Mardi 17 novembre 2015, San Diego, Californie.
Monsieur le Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
France
Monsieur le Président,
Ce matin, quatre avions militaires sillonnent le ciel au-dessus de nos montagnes. Ils me font penser à la France. Je suis en Californie depuis un an, mais ces derniers jours mon coeur et mes pensées ne cessent de prendre leur envol vers le pays natal.
Mes pensées vont aussi vers vous, Monsieur le Président, père d’une patrie choquée, qui doit, à l’heure qu’il est, faire face à une situation douloureuse et complexe, à une pression politique et médiatique extrême, le tout engendrant sans aucun doute bien du stress et des nuits sans repos.
Merci d’accepter cette tâche difficile de capitaine de navire et de la mener avec un grand sens de la responsabilité et du devoir.
Dans la nuit du 13 novembre, bien des membres de ma famille francaise sont morts. Une partie de moi est morte avec eux. Et de la vulnerabilité de mon coeur meurtri, une voix se fait entendre: l’écho de mes pleurs dans les sanglots de mes frères et sœurs syriens, l’écho de mon désespoir dans les appels au secours de tous ces hommes et ces femmes qui souffrent, un peu partout, de la perte des leurs, de la violence, de la terreur et de la guerre.
Je sais, aujourd’hui plus qu’hier, de la profondeur de mon âme blessée, que je ne souhaite à aucune famille de verser ces larmes amères.
Comme le disait le Pape François dans son discours acclamé au Congrès américain “Souvenons-nous de la Règle d’Or : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour les autres aussi ».
Monsieur le Président, nous apprenons dans nos livres d’histoire comment l’humiliation allemande du Traité de Versailles de 1919 fut une perche tendue pour la montée du pouvoir hitlérien, comment les bombardements du Cambodge en 1973 furent une campagne efficace de recrutement pour les rangs des Khmers Rouges ou encore combien la guerre en Irak fut un combustible pour le feu du fanatisme islamiste.
Dans la situation de crise mondiale actuelle, il est si facile de se laisser happer par l’urgence (bien réelle pourtant), l’agitation et la frénésie ambiante.
Puissions-nous ensemble, tout en répondant au besoin impératif de protection de la population, prendre aussi le temps de se souvenir, d’écouter et d’apprendre de l’Histoire et des souvenirs de ceux qui en témoignent;
Puissions-nous ensemble, dans un monde où le passé peut être retouché de manière si réelle et poignante (comme le montre récemment le film “Le Fils de Saul”), honorer de nos actions responsables, intelligentes et éclairées le souvenir de tant de morts et de souffrance et ne donner aucune chance à nos enfants de revivre de pareils traumatismes;
Puissions-nous ensemble œuvrer à la construction d’un monde où l’écoute attentive et compatissante des souffrances endurées de part et d’autre, prévale sur l’escalade inutile d’une violence qu’aucun être ne souhaite, où le désir de compréhension profonde et de réelle entente triomphe de nos préjugés, de nos peurs et de nos soifs de revanche ou de pouvoir;
Afin qu’ensemble nous puissions, comme le dit Gandhi, non seulement ne pas rendre le monde aveugle, mais aussi allumer une étincelle de vie, d’espoir et d’amour dans les yeux de ses habitants.
Monsieur le Président, je suis confiante que les livres d’histoire et les générations à venir se souviendront de vous comme celui qui sut être “la force tranquille” dont la nation avait tant besoin dans un chaos de peur et de colère; comme un capitaine avisé qui sut conduire son navire vers des eaux apaisées; comme le sage et courageux commandant des gardiens d’une réelle Paix; comme le berger qui sut prendre soin de ses brebis au-delà des frontières de ses pâturages.
Car tous, nous préférons le joyeux gazouillement du merle aux rafales des armes et le vol libre et majestueux de l’épervier à celui des avions militaires.
Sachez Monsieur le Président, qu’en ces heures sombres, sur le chemin ardu qui est le vôtre, vous ne marchez pas seul. Les pensées de soutien et de courage de beaucoup vous accompagnent.
Avec toute ma gratitude et ma confiance,
Votre enfant parmi tant d’autres,
Soeur Mai Nghiem
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